Convention des Nations Unies concernant les droits des enfants : chaque enfant a droit à une famille.

 

Et pourtant... le calvaire de Ionut continue.

 

Comme n'importe quel enfant de chaque orphelinat du monde, Ionut tend sa petite main, implorant de n'importe quel nouveau venu un moment d'attention. Une attention spéciale toutefois. Qui serait seulement pour lui. Un réconfort seulement pour lui. Dès qu'on s'éloigne de lui, Ionut - comme presque tous les enfants abandonnés, prend brusquement un air absent, rentre en lui-même et, absorbé par son propre Moi, commence à se balancer de façon rythmique, uniforme, comme un petit robot. J'ai cru qu'il était un malade mental. Rien de plus faux! Un psychiatre m'a expliqué que la grande majorité des enfants en institutions sont des enfants normaux. Et comme Ionut, toutefois, la Solitude et l'absence de chaleur maternelle fait qu'ils se comportent ainsi, comme des robots.

 

Programmés par l'indifférence des hommes, par le manque d'amour des mères qui les ont abandonnés, par la démagogie des autorités. Abandonnés ainsi de tous, les enfants recherchent dans leur mémoire primitive la raison pour laquelle leur mère naturelle les a refusé et pour laquelle l'abstraction nommée état ne peut leur apporter une compensation.

 

La conception des institutions roumaines de protection des mineurs a été et reste encore en partie une conception criminelle. Les enfants des foyers hospitaliers ou ceux des orphelinats sont lavés, vêtus, nourris (autant et comme on peut), mais sont en manque d'amour. En conséquence, ils souffrent d'un phénomène de régression et la majorité restent à vie handicapés sur le plan émotif, affectif, social... Extrêmement peu d'employés s'en soucient et ils n'ont pas le temps matériel d'individualiser l'affection, et au font ils ne sont que ? maman docteur », ? maman infirmière »... et ainsi de suite. CE N'EST PAS DANS LES INSTITUTIONS - qu'importe le nom qu'on leur donne - QUE PEUT GRANDIR UN ENFANT. ? Si nous voulons vider ces horribles institutions, il faut que nous empêchions les enfants d'y entrer » conclut avec lucidité un pédiatre roumain dans un reportage à l'occasion d'un grand prix de la revue "Madame Figaro" pour l'action humanitaire. ? Comment cela peut-il se faire ? » ai-je demandé au ministre Cristian Tabaracu. ? En aidant les mères et les familles à les entretenir ou en les assurant de nouveau qu'elles peuvent et qu'elles vont les élever. »

 

Quand les juges ont des complexes, quand l'Exécutif s'embrouille et quand la Procurature est embarrassée personne ne voit les larmes d'un enfant. Il y a plusieurs mois, nous avons lacé dans notre journal la question ? Qui joue avec l'enfance de Ionut ? » Depuis, cinq mois ont passé et Ionut est toujours en orphelinat, surveillant toujours plus tristement la porte où il attend sa maman.

 

Il a été adopté, a vécu heureux près de sa mère adoptive, il a été choyé, il a ressenti à quoi ressemble d'être l'enfant de quelqu'un. Mais après seulement quelques mois, ils ont dû se séparer et Ionut a été reconduit à "Sainte Catherine". Quel que soit le motif des autorités pour décider de cette affaire, elles devraient peser 100 fois avant d'avoir le courage de blesser l'âme - tellement traumatisée - d'un enfant.

Du haut de ses 5 ans, Ionut ne peut comprendre pourquoi il a été pour la deuxième fois abandonné en orphelinat ni comment la Procurature Générale est embarrassée par les institutions qui doivent mettre un point final à son calvaire; ou pourquoi les officiers des Passeports ne savent pas quelle est la décision définitive et exécutoire; Pourquoi la Haute Cour de Justice a besoin de tant de temps pour prendre cette sorte de décision : va-t-il rester à l'orphelinat ou va-t-il partir dans sa nouvelle famille ?

Est-ce mieux pour les enfants d'être au ruisseau que dans une famille ? On dit qu'une question éclaire une réponse. Risquant de n'en recevoir aucune, nous répétons obstinément la question : ? Quand les autorités cesseront-elles d'entrer avec leurs gros souliers dans l'âme d'un enfant, en ne faisant que mimer les exigences de la loi ? ? Pour un bébé, c'est de la cruauté, c'est un crime d'être emmené au sein d'une famille, puis d'être ramené à l'orphelinat. » nous dit Madame G... qui a été adoptée à un âge tendre. Elle a maintenant deux jolis enfants à qui elle donne tout son amour. ? Parfois je les regarde avec tristesse, continue-t-elle, pensant que beaucoup d'enfants comme eux - et comme moi-même je l'ai été - sont privés de la joie et de la chaleur d'un foyer, sont pris pour des objets que nous déplaçons d'un endroit à l'autre selon notre bon plaisir. »

 

Pourquoi Ionut a-t-il été reconduit à l'orphelinat ? Pourquoi sa mère adoptive est-elle partie sans lui en Espagne après avoir lutté comme une lionne pour lui et avoir imploré aux portes des institutions notre compréhension ? Pourquoi se fait-il qu'on ne l'entend pas ? Probablement que le dossier de Ionut s'est égaré parmi les fissures de la loi et parmi les intérêts de groupe ou de ...marché ? Donnons raison à la Française Annick Lacroix qui note ? ... en Roumanie, tout est comme il y a 50 ans chez nous... » De la mentalité des gens à celle des institutions ! N'évitons pas la réalité.

 

Un marché s'est formé aussi pour les adoptions... Où la concurrence - entre les fondations, les agences, les représentants, les avocats - est très dure. Et - en soi - il n'y a rien de mal à cela. Si la concurrence était transparente, si on accélérait les choses en faveur des enfants et si les autorités n'entraient pas dans le jeu d'une façon partiale. Partiale ou vicieuse, contaminée par le slogan ? Nous ne vendons pas les enfants » qui en réalité se traduirait ? Il est mieux pour les enfants d'être au ruisseau que dans une famille... d'étrangers. » Ou est-ce mieux dans les orphelinats ?

La Misère, l'odeur fétide des chambres, le froid, la tristesse dans les yeux des enfants, les yeux au fond du visage, l'atmosphère glaciale des foyers-camps roumains sont malheureusement, continuellement, une réalité dans beaucoup de ces établissements. Amené presque de force par un pédiatre, en visite au foyer hôpital de Vâlcea, le président de la commission départementale pour les mineurs s'est exclamé : ? Docteur, je ne supporte plus! » ? Mais vous supportez et vous signez l'envoi d'enfant ici pour 18 ans ? » Le dialogue a été rapporté par Annick Lacroix dans un reportage troublant sur les enfants en institutions, sur ? les tristes pépinières - les fameux orphelinats - qui reçoivent chaque année leur lot de pensionnaires »... les enfants.

 

Personne n'a-t-il le courage de mettre fin à la tristesse de Ionut ? ? Pour nous, médecins, il est important que - et nous avons lutté pour cela - l'enfant puisse sortir aussi vite que possible de l'institution car l'institution laisse une empreinte sur le psychisme de certains enfants pour toute la vie. L'idéal serait qu'il soit intégré dans sa propre famille. Mais, si ce n'est pas possible, l'adoption reste une solution préférable à l'institutionnalisation. Mais qu'il parte dans sa nouvelle famille par une voie droite, et qu'il ne parte pas comme une valise par-delà la frontière, comme ce fut le cas de l'enfant Monica Bairam », nous dit le Docteur Mirela Hamouche, directrice intérimaire de l'orphelinat où est Ionut.

 

Ainsi, Ionut a une décision de justice définitive et exécutoire. La loi dit qu'elle doit être mise à exécution.

 

Qu'est-ce qui a provoqué l'amnésie de nos institutions jusqu'à leur faire oublier qu'elles ont l'obligation avant tout de respecter la décision ou de chercher une solution dans l'aide des gens, et non d'imposer un tel sort à un enfant ?

Nous sommes obligés de poser cette question alors qu'en même temps qu'on a invoqué ici la rigidité bureaucratique, on l'a ignorée dans beaucoup d'autres circonstances véritablement scandaleuses, et alors que des crimes troublants à l'encontre d'enfants restent non résolus, objets uniquement de reportages de presse.

 

Qu'invoquent concrètement les autorités ? Un certificat de bonnes moeurs qui donne le feu vert à une famille pour adopter un enfant. Les époux Manterola ont apporté de l'autorité de tutelle espagnole une telle sorte d'acte - une enquête sociale - mais pas dans la forme demandée par la nouvelle loi espagnole. Pourquoi ? ? Nous l'avons demandé et nous ne l'avons pas reçu pour la Roumanie ». De nouveau : Pourquoi ? Madame Manterola ne sait pas. La réponse glisse probablement vers des zones délicates qui ne regardent pas les familles espagnoles, mais leurs institutions ou ... les nôtres. Les espagnols ont donné le feu vert à des familles qui ont adopté des enfants venant de Chine, de Russie, du Pérou, mais non de Roumanie. Pourquoi ? Nous n'avons pas réussi à trouver.

 

Une avocate espagnole que nous avons rencontrée à Bucarest - accréditée par son pays pour l'adoption en Chine - a avancé une idée stupéfiante : ? Toutes les sollicitations pour la Roumanie s'arrêtent à notre ambassade (d'Espagne ndlr) à Bucarest... »

La conclusion à laquelle nous sommes parvenus après d'innombrables discussions avec des représentants du Parquet, avec les parents ou avec les fonctionnaires de l'Exécutif pour les problèmes des enfants seraient les suivantes : à la frontière entre la sortie de l'arène des vieilles lois et l'entrée en vigueur de nouvelles lois, par les contretemps entre la ratification par la Roumanie et par l'Espagne des conventions internationales sont apparues des crises d'adaptation. En conséquence, des déphasages, des zones d'ombres, un vide que les institutions d'un état de droit qui se respecte doivent compenser par un pas en avant sans que le citoyen n'en devienne victime. D'autant plus qu'au milieu, il y a le sort d'un enfant innocent.

 

Adriana Vasilescu. "România Libera" 6/12/97

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